De nombreux textes juridiques organisent la prévention des risques naturels. Par exemple, le code de l’urbanisme impose des normes de construction particulières sur certains territoires et le code de l’environnement organise la protection de certaines zones géographiques. En outre, les pouvoirs publics ont mis en place des procédures et des schémas d’action afin de répondre à certaines crises, notamment à la survenance d’une éruption volcanique ; la préfecture travaille alors de concert avec les autorités locales et avec d’autres acteurs institutionnels ou scientifiques (ex : le BRGM, l’IPGN).
Pourtant, les juristes sont peu mobilisés sur ces questions, en particulier concernant les risques volcaniques, ce qui peut s’expliquer par deux raisons : l’éloignement géographique – les territoires ultra-marins sont quasi exclusivement concernés (La Réunion, la Guadeloupe) et au vu des réglementations nationales, il n’est pas pertinent, dans notre discipline, de choisir un terrain régi par un autre droit – et le fait que les risques volcaniques sont principalement perçus comme des objets d’études relevant plutôt d’autres disciplines scientifiques. Le constat de ce décalage étant fait, une étude juridique a donc toute sa pertinence, tant au regard de son caractère inédit, mais aussi au regard de l’attente du monde socio-économique sur ces questions (collectivités territoriales, professionnels de l’assurance, professionnels du bâtiment, professionnels du tourisme, compagnies aériennes, etc.).
Plusieurs projets ont pu voir le jour dans ce cadre et répondent à deux sortes de recherche : les unes relèvent de la thématique « droit et volcanisme », les autres traitent de la place des chercheurs et de leurs missions dans ce processus de prévention des risques.
1/ Droit et volcanisme
rep 1
Un premier séminaire a été organisé le 9 avril 2019, au Centre Michel de L’Hospital (UCA), intitulé « prévention des risques et réaction face aux catastrophes volcaniques », sous forme de workshop interne, principalement pour lancer les premières pistes de travail et de réflexion.
rep 2
Par la suite, un colloque « Droit et Volcanisme » a été organisé à La Réunion, les 8 et 9 avril 2021, avec des partenaires locaux sur place, sous la direction de Olivier Dupéré et de Sabrina Dupouy. Un ouvrage devrait paraître prochainement sur le sujet.
2/ La responsabilité du chercheur du fait de ses recherches : quelle position des chercheurs face aux catastrophes naturelles ?
Une autre partie du programme de recherche consistait à s’interroger sur la position des chercheurs (à la suite du « Syndrome de L’Aquila » notamment) et plus généralement sur leur responsabilité. Ainsi, le CIR 4 a pu financer la thèse de doctorat d’Agathe Chirossel, soutenue brillamment le 15 décembre 2023 et publiée en avril 2025. L’analyse s’inscrit au cœur de plusieurs réflexions, communes à tous les chercheurs en réalité : le chercheur peut-il être condamné pour les recherches qu’il a menées ? L’utilisation de résultats de recherche par des tiers peut-elle entraîner la responsabilité de leur auteur ? Cette seconde interrogation a été particulièrement portée par les chercheurs au milieu du XXe siècle après la captation militaire des recherches sur la fission nucléaire. Toutefois, il ne s’agit pas là d’une réflexion nouvelle : la condamnation de Galilée par le tribunal de l’Inquisition en 1633 peut être considérée comme la première consécration d’une telle responsabilité.
Il en résulte que la responsabilité du chercheur du fait de ses recherches est ainsi une réalité mouvante en essor. Véritable laboratoire des mutations du droit de la responsabilité, le contexte de la recherche scientifique démontre l’importance du dépassement de la définition juridique classique donnée à la responsabilité. La seule étude des ressources juridiques ne permet pas de rendre fidèlement compte de la responsabilité concrètement appliquée aux chercheurs. Celle-ci outrepasse en effet le seul manquement à une obligation pour également comprendre une obligation de répondre de ses actes. L’utilisation du concept de responsabilité permet alors de compléter utilement la responsabilité juridiquement consacrée du chercheur par les occurrences plus diffuses de responsabilisation, qui constituent les sources essentielles de contrainte du chercheur dans la conduite de ses travaux. Plus fondamentalement, cette approche témoigne des dynamiques de l’évolution du droit de la responsabilité. L’identification des contours du droit commun de la responsabilité du chercheur démontre alors que l’activité de recherche est particulièrement structurée par la notion de responsabilité, qui doit se lire de pair avec le principe fondamental de liberté de la recherche. Ce conditionnement de la recherche vise, in fine, à assurer l’éthique et l’intégrité du chercheur et devient, plus largement, garant de la qualité de la production scientifique.
rep 3
La thèse – et son auteur – ont été distinguées par l’obtention du prix de thèse du Centre Michel de L’Hospital, ainsi que par le Grand Prix jeunes chercheurs 2024 de la ville de Clermont-Ferrand, démontrant que ces interrogations sont porteuses de sens aussi au-delà des cercles académiques.
Agathe Chirossel poursuit ses recherches depuis le 1er mars 2025 en Post-doctorat au Laboratoire Magma et Volcans, afin de préciser le rôle des chercheurs dans les zones volcaniques non actives à l’instar de la chaîne des Puys. Si le premier temps du projet a permis d’identifier l’encadrement légal des risques connus (en détaillant notamment le fonctionnement des plans ORSEC établis sur les zones au(x) risque(s) déjà identifié(s)), ce deuxième temps permet d’interroger la substance d’obligations plus implicites, voire morales, des chercheurs, qui s’expriment en l’absence de tout encadrement légal.
Ce travail a vocation à s’inscrire plus largement dans l’analyse des évolutions de l’encadrement général des risques naturels : dans une période d’accélération des phénomènes naturels dramatiques, quelle est désormais la place du chercheur ? Quelles pourraient être les mutations des obligations qui lui sont imputées ? Pourra-t-il, un jour, être plus directement impliqué dans les maillons de prévention des risques et les différents travaux des préfets ? Un regard sur le droit comparé montre que ce chemin a déjà été tracé par certains pays.
Anne JACQUEMET-GAUCHÉ Professeur de droit public, école de droit
Centre Michel de L’Hospital (UR 4232)
Membre Junior de l’Institut Universitaire de France