Portrait de postdoc': Fanny Hugues (LESCORES - UMR Territoires)
Nom, prénom: Hugues, Fanny
Rattachements, encadrants : Laboratoire d'études sociologiques sur la construction et la Reproduction Sociales (LESCORES) - Élie Guéraut ; UMR Territoires - Christophe Déprés
Peux-tu revenir sur ton parcours académique qui t’a mené jusqu’au Pôle ?
J’ai fait un master de sociologie spécialisé en « Genre, politique et sexualité » à l’EHESS de 2017 à 2019. Dans un premier mémoire, je me suis intéressée à la place des compagnes dans une communauté Emmaüs qui se proclamait « village alternatif » d’un point de vue économique, social et écologique. L’année suivante, j’ai mené une ethnographie du quotidien d’une cueilleuse de plantes aromatiques et médicinales sauvages, également mère célibataire de quatre enfants, vivant dans la Drôme. Dans la continuité de ces recherches, en doctorat, j’ai souhaité m’intéresser aux ménages de classes populaires rurales vivant avec peu d’argent, en essayant de comprendre comment ceux-ci estimaient bien s’en sortir avec peu de revenus, en mobilisant une importante économie de subsistance. Mon intérêt scientifique pour les enjeux écologiques s’est ainsi renforcé au fil des ans, notamment au sein de l’atelier doctoral « Ethnographie sociale des questions environnementales » que j’ai co-organisé durant trois ans à l’EHESS. Cet atelier, qui rassemblait des doctorant·es de sciences sociales pratiquant l’enquête de terrain, visait à appréhender la crise écologique à l’aune des inégalités socio-spatiales et des rapports sociaux – de classe, de genre, de race – qui la façonnent et qu’elle façonne, voire redouble.
Quel était le sujet de ta thèse et quelle en était la problématique centrale ?
Ma thèse de sociologie portait sur les débrouilles rurales, c’est-à-dire des modes de vie populaires composés de pratiques de subsistance – faire un potager, produire son propre bois de chauffe, récupérer et échanger des objets – adoptés par des ménages vivant avec de faibles ressources économiques en milieu rural, que j’ai appelés modestes économes. À travers une enquête ethnographique et ethnocomptable, elle analysait finement les ressorts sociaux, matériels et symboliques de la reproduction de ces modes de vie. Sans négliger ni leurs conditions matérielles contraintes, ni les effets de la domination sur leurs quotidiens, ni les rapports de classe et de genre qui les traversent, elle montrait la manière dont les modestes économes maintiennent leurs économies domestiques à l’équilibre, en mettant au jour, l’ensemble des capitaux et ressources que ces ménages mobilisent inégalement en fonction de leurs (petites) différences socio-économiques.
Comment en es-tu arrivée à t’intéresser aux Sciences de la durabilité ? Et en quoi cette approche te semble pertinente pour mener à bien ton projet post-doctoral ?
Dans ma thèse, je me suis particulièrement intéressée au rapport à la question écologique des ménages populaires ruraux enquêtés, dont les modes de vie sont éminemment sobres, mais qui ne se qualifient pas d’« écolo ». Ils rattachent plutôt leurs pratiques économes, guidées par des manières de penser et d’agir héritées de l’enfance et réactualisées au long des trajectoires, à l’évidence d’un « bon sens ». La thèse mettait ainsi au jour trois formes d’écologies morales des modestes économes en contrepoint des normes écologiques dominantes : « anti-gaspillage », « paysanne » et « anti-consumériste ». En post-doctorat, je souhaitais poursuivre l’exploration des inégalités et tensions autour de la question écologique en mobilisant de nouveaux outils d’enquête et d’analyse, par exemple issus de la géographie et de l’économie, ce qui m’a conduite à m’intéresser au Pôle des sciences de la Durabilité au sein duquel l’interdisciplinarité est centrale. Je pense que le décloisonnement et le dialogue entre les disciplines peut véritablement favoriser la production de connaissances critiques sur l’écologie. De même, la vulgarisation et la restitution des résultats au grand public, qui est un objectif du Pôle, me paraît nécessaire dans un contexte d’urgence écologique.
Principales publications :
Fanny Hugues, « Se débrouiller chez soi en milieu rural en temps de confinement. L’espace domestique, support du travail de subsistance », Revue des politiques sociales et familiales, 2021, n° 144, pp.119-128.
Fanny Hugues, « Getting by in rural France: la débrouille as a form of quiet popular resistance? », European Journal of Cultural and Political Sociology, 2023, vol. 10, n° 1, pp. 127-151.
Fanny Hugues, « Le genre des débrouilles rurales. Les modestes économes face à la division spatiale et sexuée du travail de subsistance », Sociétés contemporaines, à paraître, 2025.